Une quatrième tentation pour Jésus ?

Dans le récit des tentations au désert, le diable suggère à Jésus de se servir de sa puissance pour s’imposer comme messie. Chaque fois, il s’agit pour Satan de lui proposer un messianisme très terrestre qui s’appuie sur l’opulence matérielle (les pierres changées en pain), sur le prestige religieux (se jeter en haut du temple) et finalement sur le pouvoir universel (recevoir du démon la puissance en échange de son adoration). De la sorte, le diable veut détourner Jésus de sa mission faite de service, d’humilité et de solidarité pour l’amener sur un chemin qui ne respecte pas la liberté des hommes mais les asservit à sa puissance divine. « Si tu es le Fils de Dieu... » : le diable est bien le tentateur qui propose la voie perverse de la puissance et de la facilité.

 

Pourquoi ne pas utiliser son extrême intelligence pour prendre l’ascendant ?

Les tentations de Satan sont en nombre de trois. Toutefois, pourquoi ne pas en imaginer une quatrième qui s’appuierait, elle, sur l’intelligence de Jésus ? En effet, le Fils de Marie lisait dans les cœurs. L’évangile de Jean affirme qu’ « il savait ce qu’il y a dans l’homme » (Jn 2, 25). Si le diable avait désiré exploiter cette connaissance de Jésus, ne lui aurait-il pas suggéré une tentation comme celle-ci : « Si tu es le Fils de Dieu, étale sur la place publique les pensées cachées et peu avouables de tes adversaires pour leur clouer le bec et t’imposer comme le seul religieux pur de tes contemporains !  » ? À cette tentation, on devine facilement que Jésus aurait objecté qu’il n’était pas venu pour faire honte, juger, se poser en procureur, mais pour sauver et proposer la libre conversion, celle qui sort du cœur et non pas la conversion contrainte et forcée par l’accusation publique et la salissure de la renommée.

Au cours de la Passion, Jésus aurait pu dire leurs quatre vérités à Caïphe et à Anne qui avaient trempé dans des affaires assez louches. Ainsi, aurait-il été en mesure de retourner contre eux leurs accusations. Car tous ses adversaires prêtaient le flanc à des accusations. Cependant, le Christ n’en a jamais usé ainsi. Il n’a jamais utilisé sa connaissance des âmes pour les accuser. Pourquoi ?

 

Jésus est un amoureux, non un juge

C’est que le Christ est respectueux des intériorités. Il n’est ni un voyeur, ni un accusateur, ni un inquisiteur. En tant que Dieu, il est le Créateur de la liberté. Voilà pourquoi il laisse notre conversion à notre responsabilité. Jamais il ne lui viendrait à l’idée de la forcer. Il est l’Amour et l’amour répugne à la contrainte. Mendiant de notre amour, il ne peut nous forcer à lui rendre le sien : ce serait contradictoire car un amour non libre est une contradiction dans les termes. Le Christ n’a jamais tenu à démasquer de vive voix la méchanceté des personnes qu’il avait en face de lui. Il a jugé sa génération sans complaisance, mais jamais ad hominem. Il a refusé d’employer sa connaissance à son profit. S’il tente de retenir Judas, ce n’est pas pour avoir barre sur lui mais afin de l’empêcher de commettre l’irrémédiable. S’il reprend les pharisiens, c’est pour les avertir, non pour les humilier. Sa connaissance des cœurs sauvera la femme adultère de la lapidation : il avait deviné que la violence que portaient en eux les accusateurs de celle-ci s’exprimait dans leur pulsion accusatrice. Le pouvoir de lire dans les cœurs, Jésus ne l’a jamais utilisé pour manipuler, condamner, faire chanter. À rebours, on imagine sans peine le diable lui proposer le marché suivant avec Caïphe : «  Je sais que tu as trempé dans cette affaire peu reluisante avec les Romains : je garde le silence en échange de quoi tu me proclames séance tenante messie et roi d’Israël !  ». Mais Jésus ne mangeait pas de ce pain-là.

Le Christ nous aime et sa connaissance des âmes n’a jamais été un empêchement à son amour. La prédiction du triple reniement de Pierre ne l’empêche pas de prophétiser à son disciple son rôle de chef du collège apostolique après la Résurrection. Jésus ne minimise pas nos fautes mais il n’en fait pas un obstacle insurmontable à son amour pour nous – amour qui reste inconditionnel. Quand Jésus nous scrute, ce n’est pas pour plonger complaisamment dans nos ténèbres, par goût du macabre, mais dans le but d’aller chercher, ranimer et sauver l’étincelle d’amour que notre âme recèle en elle dans ses tréfonds les plus cachés. « Il n’éteindra pas la mèche vacillante  » dit le prophète à son sujet.

 

Pour Jésus, connaître n’est pas dominer mais appeler chacun par son nom

La connaissance que Jésus a de chacun de nous est constituée de délicatesse et de tendresse. Elle n’a rien à voir avec une connaissance froide, objective et scrutatrice. À l’inverse, le propre de l’esprit démoniaque consiste à appréhender, au scalpel de l’intelligence, les hommes sans amour, avec une froideur dominatrice de procureur. Avec son intelligence angélique, Satan veut dominer et avoir barre sur nous alors que Jésus nous appelle par notre nom. Or, appeler l’homme par son nom est le signe d’une connaissance faite d’empathie et de la reconnaissance que nous sommes tous uniques à ses yeux. 

Si Satan avait été tenté d’user de cette tentation envers lui, Jésus lui aurait opposé une fin de non-recevoir : « Je veux régner sur des cœurs libres et non sur des esprits honteux et soumis » aurait-il répliqué à l’esprit pervers.

 

Jean-Michel Castaing

 


Actualité publiée le 12 mars 2024