Joseph, homme de confiance en toute circonstance

Texte de Mgr Robert Le Gall, Archevêque de Toulouse

Joseph, homme de confiance en toute circonstance

Nous sommes entrés sans trop nous en rendre compte, depuis le 8 décembre dernier, dans l’Année Saint-Joseph, voulue par le pape François. En effet, le 8 décembre 1870, le bienheureux pape Pie IX a fait de saint Joseph le Patron de l’Église universelle : le 150e anniversaire de cette décision était une bonne occasion pour nous remettre tous, en des temps troublés et incertains, sous la protection de cet homme simple et donné, à qui le Père a confié à la fois Jésus, le Fils de Dieu, et Marie, sa Mère.

Le saint pape Jean XXIII avait ajouté au Canon romain (la première prière eucharistique) la mention de Joseph dans la première liste des saints. Il est clair que la dévotion à saint Joseph n’est pas une pratique d’autrefois : elle trouve même dans le contexte où nous sommes une pertinence renouvelée. Nous nous souvenons que le pape François a inauguré son ministère à Rome le 19 mars 2013 ; quelques mois plus tard, il a fait mentionner Joseph dans toutes les prières eucharistiques. Dans sa première homélie, il a souligné la mission de « gardien » qui a été celle de Joseph :

« Nous sommes “gardiens” de la création, du dessein de Dieu inscrit dans la nature, gardiens de l’autre, de l’environnement ; ne permettons pas que des signes de destruction et de mort accompagnent la marche de notre monde ! Mais pour “garder”, nous devons aussi avoir soin de nous-mêmes ! Rappelons-nous que la haine, l’envie, l’orgueil souillent la vie ! Garder veut dire alors veiller sur nos sentiments, sur notre cœur, parce que c’est de là que sortent les intentions bonnes et mauvaises : celles qui construisent et celles qui détruisent ! Nous ne devons pas avoir peur de la bonté, et même pas non plus de la tendresse ! »

Dès le début de son pontificat, le pape nous a invités à « garder » la création, à être attentifs aux personnes, notamment celles qui sont jeunes ou âgées. Il nous a demandé de porter un regard aimant et bon sur tous ceux qui nous entourent. La pandémie a profondément remis en cause le fonctionnement de notre monde ; le premier confinement a commencé juste avant la fête de saint Joseph en 2020, avec l’angoisse de l’insuffisance respiratoire, une sorte d’asphyxie de la société, une société qui a perdu le sens de la paternité comme celui de la filiation.

Précisément, le pape, dans sa Lettre apostolique Patris corde, montre comment Joseph a aimé Jésus « d’un cœur de père ». Il décline ce cœur et cette mission de père en sept variations : père aimé, père dans la tendresse, père obéissant, père dans l’accueil, père au courage créatif, père travailleur, père dans l’ombre. La vie de saint Joseph a été bousculée : une fiancée qu’il découvre enceinte, une naissance qu’il faut improviser, une fuite à l’étranger, un retour incertain. Ces épisodes se succèdent sans transitions, dans un climat d’incertitude et d’angoisse. C’est là que saint Joseph, comme Patron de l’Église universelle, peut nous inspirer et nous aider, dans cette navigation à vue qui est devenue la nôtre depuis une année, sans visibilité pour la suite.

Dans ces réflexions simples et bienvenues du pape François, je voudrais relever la façon dont il nous exhorte à nous réconcilier avec la réalité de notre présent et de notre histoire.

Bien des fois, des événements dont nous ne comprenons pas la signification surviennent dans notre vie. Notre première réaction est très souvent celle de la déception et de la révolte. Joseph laisse de côté ses raisonnements pour faire place à ce qui arrive et, aussi mystérieux que cela puisse paraître à ses yeux, il l’accueille, en assume la responsabilité et se réconcilie avec sa propre histoire. Si nous ne nous réconcilions pas avec notre histoire, nous ne réussirons pas à faire le pas suivant parce que nous resterons toujours otages de nos attentes et des déceptions qui en découlent.

La vie spirituelle que Joseph nous montre n’est pas un chemin qui explique, mais un chemin qui accueille. C’est seulement à partir de cet accueil, de cette réconciliation, qu’on peut aussi entrevoir une histoire plus grande, un sens plus profond. Joseph n’est pas un homme passivement résigné. Il est fortement et courageusement engagé. L’accueil est un moyen par lequel le don de force qui nous vient du Saint Esprit se manifeste dans notre vie. Seul le Seigneur peut nous donner la force d’accueillir la vie telle qu’elle est, de faire aussi place à cette partie contradictoire, inattendue, décevante de l’existence. La venue de Jésus parmi nous est un don du Père pour que chacun se réconcilie avec la chair de sa propre histoire, même quand il ne la comprend pas complètement.

L’expérience difficile de cette année contrainte a eu le mérite de nous inviter à une réflexion propice pour une conversion : conversion personnelle, spirituelle ; conversion de la société, conversion écologique. Nous ne pouvons plus rester dans une logique de développement sans bornes ou d’une maîtrise parfaite de notre avenir : nous venons d’en faire l’expérience cruciale. Nous sommes mieux à même de reconnaître que nous avons besoin d’être sauvés. C’est l’annonce faite à Joseph par l’ange : « Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint : elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve) » (Mt 1, 20-21). Le Salut apporté par le Sauveur est la Bonne Nouvelle annoncée aux bergers la nuit de Noël, qui est une grande joie pour tous (Lc 2, 10).

La pandémie nous apprend à déprendre, à poursuivre la démarche écologique pleine qui sait joindre moins et mieux  : une dépossession qui nous laisse libres et capables de savourer une sobriété heureuse. Ce qu’écrit le pape sur Joseph, « le Père dans l’ombre », et sur sa chasteté est à retenir pour chacun de nous.

« Être père signifie introduire l’enfant à l’expérience de la vie, à la réalité. Ne pas le retenir, ne pas l’emprisonner, ne pas le posséder, mais le rendre capable de choix, de liberté, de départs. C’est peut-être pourquoi, à côté du nom de père, la tradition a qualifié Joseph de “très chaste”. Ce n’est pas une indication simplement affective, mais c’est la synthèse d’une attitude qui exprime le contraire de la possession. La chasteté est le fait de se libérer de la possession dans tous les domaines de la vie. C’est seulement quand un amour est chaste qu’il est vraiment amour. L’amour qui veut posséder devient toujours dangereux à la fin, il emprisonne, étouffe, rend malheureux. Dieu lui-même a aimé l’homme d’un amour chaste, en le laissant libre même de se tromper et de se retourner contre lui. La logique de l’amour est toujours une logique de liberté, et Joseph a su aimer de manière extraordinairement libre. Il ne s’est jamais mis au centre. Il a su se décentrer, mettre au centre de sa vie Marie et Jésus.

La paternité qui renonce à la tentation de vivre la vie des enfants ouvre toujours tout grand des espaces à l’inédit. Chaque enfant porte toujours avec soi un mystère, un inédit qui peut être révélé seulement avec l’aide d’un père qui respecte sa liberté. Un père qui est conscient de compléter son action éducative et de vivre pleinement la paternité seulement quand il s’est rendu “inutile”, quand il voit que l’enfant est autonome et marche tout seul sur les sentiers de la vie, quand il se met dans la situation de Joseph qui a toujours su que cet Enfant n’était pas le sien mais avait été simplement confié à ses soins. Au fond, c’est ce que laisse entendre Jésus quand il dit : “N’appelez personne votre Père sur la terre : car vous n’en avez qu’un, le Père céleste (Mt 23, 9). »

Cette Lettre apostolique de notre pape François est bien reçue ; elle suscite en nous et chez nous des initiatives que j’encourage vivement. Des paroisses et des chapelles dédiées à saint Joseph honorent leur Patron et sauront donner à la fête du 19 mars toute sa profondeur spirituelle dans le temps où nous sommes. Plusieurs familles de vie consacrée se réclament de saint Joseph ou entretiennent à son égard une dévotion constante : je pense, en particulier, à la confiance qu’avait sainte Thérèse d’Avila en saint Joseph, comme à celle que lui vouent les Petites Sœurs des Pauvres. Nous pourrons tenter de réunir ces familles pour renouveler notre propre attachement à l’homme de confiance de Dieu.

Pour que nous donnions à cette Année Saint-Joseph une belle dimension diocésaine, j’ai demandé au Chanoine Christian Teysseyre, Prévôt du Chapitre métropolitain, de coordonner les initiatives et les propositions qui existent ou qui viendront, avec les lieux et les dates des célébrations qui seront proposées. Merci pour l’accueil qui lui sera réservé, et merci à lui-même.

Pendant deux ou trois ans, dans mon Abbaye Sainte-Anne de Kergonan, tous les soirs au moment de Complies, nous avons récité, pour les besoins d’un gros chantier que nous avions entrepris, une prière à saint Joseph de saint François de Sales, que nous pouvons reprendre en cette pandémie qui se prolonge :

« Glorieux Saint Joseph, époux de Marie, accordez-nous votre protection paternelle, nous vous en supplions par le cœur de Jésus-Christ. O vous, dont la puissance infinie s’étend à toutes nos nécessités et sait nous rendre possibles les choses les plus impossibles, ouvrez vos yeux de Père sur les intérêts de vos enfants. Dans l’embarras et la peine qui nous pressent, nous recourons à vous avec confiance ; daignez prendre sous votre charitable conduite cette affaire importante et difficile, cause de nos inquiétudes. Faites que son heureuse issue tourne à la gloire de Dieu et au bien de ses dévoués serviteurs. Ainsi soit-il.  »

On sait que Joseph était le fils de Rachel, la femme préférée de Jacob. Longtemps stérile, elle eut enfin ce fils à qui elle donna ce nom en disant : « Que le Seigneur m’ajoute un autre fils ! » (Gn 30, 24). Ce deuxième fils naquit : ce fut Benjamin. Le nom de Joseph implique donc croissance, développement. De fait, après des péripéties, des jalousies, des vilénies, Joseph devint le maître de l’Égypte lors d’une famine de plusieurs années. Le pharaon disait : « Allez à Joseph ! » Allons à Joseph, pour qu’il nous délivre des calamités présentes et ouvre pour notre monde une ère de développement humain intégral, dans le respect de toutes les personnes, surtout les plus fragiles, les plus pauvres et les plus vulnérables.


+ fr. Robert Le Gall
Archevêque de Toulouse

Le 18 février 2021
fête de sainte Bernadette

 


Actualité publiée le 19 février 2021