Notre ange gardien est bien plus qu’un commissionnaire ou un garde du corps susceptible de nous éviter les accidents de voiture ou autres mésaventures. C’est l’ami venu d’ailleurs, une compagnie de tous les instants, un esprit qui aime avec force et lucidité, miséricorde et compassion. Notre relation avec lui peut vraiment devenir une belle amitié, une profonde communion, une sorte de complicité dans l’amour et le service du Seigneur.
Dans l’histoire de la liturgie, le culte des saints s’est développé très tôt, et, nous le savons, telle ou telle fête antique fut le prototype de ce qui deviendra le « commun » des martyrs, des vierges, des confesseurs, etc….
Qu’en est-il des anges ? Nous chercherions en vain dans nos livres un « commun des Anges » et combien plus des Archanges ou des Chérubins ! Et pourtant, ils sont des myriades de myriades selon le livre de l’Apocalypse. Il eût donc été tout à fait logique, selon cette perspective, de créer un « commun angélique » où nous pourrions célébrer avec effusion ces essaims bourdonnant autour de nous. Or, dans le calendrier liturgique actuel, nous ne trouvons que deux fêtes en leur honneur : le 29 Septembre, qui célèbre à la fois les Archanges Michel, Gabriel et Raphaël, et le 2 Octobre, nos chers Anges Gardiens.
Est-ce tout ? Selon la lettre, il paraîtrait ; mais en réalité, la liturgie entière est habitée de la présence de ces esprits lumineux. La vision de Saint Jean nous l’apprend. « J’entendis la clameur d’une multitude d’anges rassemblés autour du trône, ils se comptaient par myriades de myriades et par milliers de milliers et criant à pleine voix : « Digne est l’Agneau égorgé de recevoir la puissance, la richesse, la sagesse, la force, l’honneur, la gloire et la louange. » C’est alors que la voix des hommes s’unit à la leur pour proclamer l’hymne de l’Agneau vainqueur. Quel concert inimaginable ! Un concert puissant qui fait s’ébranler l’univers entier, un concert de voix humaines et de voix d’anges !
Nous voyons que, selon ces perspectives, l’important, c’est de prier avec les anges, en leur présence, pour rendre à Dieu seul l’hommage qui lui revient. Le catéchisme de l’Eglise Catholique le souligne : « De l’Incarnation à l’Ascension, la vie du Verbe Incarné est entourée de l’adoration et du service des anges. (C E C n°= 333).
dans sa première Apologie l’avait écrit : « C’est Dieu le Père que nous vénérons, que nous adorons, en raison et en vérité, et avec Lui son Fils venu d’auprès de LUI pour nous donner cet enseignement, ainsi que l’armée des autres anges qui lui font escorte et lui ressemblent, c’est-à-dire les bons anges… » Ils sont la cour céleste qui nous introduit auprès du Dieu Trine et seul adorable.
si éloquent quand il parle de ses frères les anges, il évoque ainsi leur contemplation : « Voyant le Dieu des armées régner sur l’univers avec tant de sérénité, ces anges (les Dominations), dans la stupeur de cette contemplation si intense et si douce, mais avec la sensation d’être ravis dans l’océan immense de la lumière divine, se retirent au recès profond d’une merveilleuse paix intérieure ».
Miroirs vivants des perfections divines, illuminateurs, selon l’enseignement du Pseudo Denys, les anges sont nos meilleurs pédagogues dans l’art éminent de la prière sous toutes ses formes. Avant de nous pencher sur les fêtes spécifiquement angéliques et leur répertoire, nous voudrions montrer à quel point ils sont présents dans ce qui est le pôle de toute la liturgie : le saint Sacrifice de la Messe.
Présents, les anges le sont et même en pleine action comme nous allons nous en rendre compte.
Dès le « je confesse à Dieu », notre repentir prend à témoin les anges aux côtés de Notre Dame. Dans l’ancienne version, l’Archange Michel, notre allié si puissant dans la lutte contre Satan, saint Jean-Baptiste et les saints Apôtres étaient également invoqués.
Le Gloria : Aux messes dominicales et des fêtes, c’est avec les anges que nous chantons la grande doxologie du Gloria in excelsis Deo. Hymne d’origine orientale, ce chant est attesté à partir du Ve siècle. On en trouve le texte grec dans les constitutions Apostoliques et à la fin du Codex Alexandrinus. L. Duchesne écrit : « C’était un hymne matinal ; il faisait partie de l’office des Matines. A Rome on l’introduisit d’abord à la première Messe de Noël qui se célébrait avant le jour. Le Pape Symmaque en étendit l’usage aux dimanches et aux fêtes des martyrs mais seulement à la messe épiscopale.
C’est par excellence l’hymne des anges dont l’évangéliste Saint Luc nous a livré en la nuit de Noël : « Et soudain se joignit à l’ange une troupe nombreuse de l’armée céleste qui louait Dieu en disant : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! ».
La Préface et le Sanctus : il est un moment très important qui nous offre la possibilité de mêler nos voix à celles des milices célestes, c’est la Préface suivie du Sanctus.
La Préface, est une prière d’action de grâce en laquelle est unie toute l’assemblée. Prêtons attention au début de la première phrase, pratiquement identique dans les différentes « préfaces » : « Vraiment, il est juste et bon de Te rendre gloire, de t’offrir notre action de grâce, toujours et en tout lieu, à Toi, Père très saint, Dieu éternel et Tout-puissant ».
Dans le corps même de la prière eucharistique, une prière essentielle est dite unanimement par toute l’assemblée avec le Prêtre : le « Sanctus ». « Saint, saint, saint, le Seigneur, Dieu de l’univers… ».
Dans les liturgies grecques, avec une redondance d’expressions magnifiques, les Préfaces louent le Dieu « trois fois Saint, entouré de myriades d’anges, de sublimes et de très hauts séraphins et chérubins munis de six ailes et d’un grand nombre d’yeux et qui chantent avec des voix extrêmement élevées l’Hymne triomphal : Saint, Saint… ».
Quant au rite gallican, il désigne la Préface par le terme suggestif de contestatio, qui signifie que l’on prend à témoin les puissances du ciel, les archanges et les anges, du Sacrifice qui va être offert.
Il est évident qu’après nous avoir ainsi entraînés dans leur éminente louange, les célestes esprits demeurent là, entourant l’autel au moment du Sacrifice Eucharistique. Saint Ambroise, commentant l’apparition de l’Ange à Zacharie, s’exclame :
« Nous aussi, alors que nous serons à l’autel, offrant le sacrifice, qu’un ange vienne pour nous assister et mieux encore qu’il se présente à notre vision ! Tu ne dois pas douter qu’un ange t’assiste quand le Christ lui-même se tient là, quand le Christ lui-même est immolé ».
Le Canon Romain fait mention de l’Ange du sacrifice qui transporte nos dons mystiques de l’autel terrestre à celui du ciel : « Nous vous en supplions, Dieu tout-puissant, faites porter ces offrandes par les mains de votre saint Ange, là-haut sur votre autel, en présence de votre divine majesté ».
La grande question est de savoir quel est cet Ange… Dom Jean de Puniet, moine de Solesmes, a consacré à ce sujet un court article fort intéressant (revue Grégorienne, mai-juin 1938) et conclut que cet Ange est Saint Michel. Il le déduit du rapprochement entre l’Apocalypse où il est dit qu’un Ange se tient près de l’autel avec un encensoir d’or (Apocalypse 8, 1-15) et la formule de bénédiction de l’encens lors d’une messe solennelle qui précise : « …Par l’intercession du bienheureux Michel Archange, qui se tient à droite de l’autel de l’encens ».
Les fêtes de Saint Michel furent liées soit à des apparitions du bel Archange, sont à l’anniversaire de dédicace d’une église édifiée en son honneur et c’est le cas de la date du 29 Septembre. « Véritable et primitive solennité romaine en l’honneur du prince des milices angéliques », cette fête remonterait au Ve siècle, célèbre la dédicace de la basilique de l’Ange édifiée sur la Voie Salaria par le Pape Boniface IV. Charlemagne en 813 (Concile de Mayence) ordonna qu’elle fût célébrée solennellement dans son royaume. Parmi les fêtes de saint Michel, le 8 mai commémorait une apparition de l’Archange sur le Mont Gargan, aux environs de Siponto en Italie (VIe s).
Nous ne nous attarderons pas sur la fête des Anges gardiens qui dérive de la fête primitive du 29 Septembre. Elle est le fruit de la dévotion populaire qui a admirablement compris comment l’amour de Dieu embrasant les esprits angéliques leur inspire une sollicitude vigilante à l’égard de leurs frères les hommes (He 1,14).
Dès l’Avent, la liturgie nous met en présence d’un ange, nous faisant méditer sur deux Annonciations, celle adressée à Zacharie, dans le Temple de Jérusalem, et celle de Marie, au village de Nazareth.
A Noël éclate le Gloria et la joie tellement fraîche de l’annonce angélique aux bergers.
Au premier dimanche de Carême, la liturgie nous fait redire le psaume 90, psaume cité dans les Evangiles de la Tentation du Christ. Il en est resté un verset répété pendant tout le Carême : « Il a pour toi donné ordre à ses anges de te garder en toutes tes voies. » Il est du reste réconfortant de sentir cette présence des anges en ce long parcours quadragésimal.
Au jour de l’Ascension, ils reviennent ces deux anges vêtus de blanc et nous interpellent : « Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel ? ». Or cette interrogation qui devrait nous plonger dans la perplexité est devenue le leitmotiv de la liturgie de l’Ascension.
Avec l’Ascension se clôt le cycle du grand temps des fêtes du Seigneur. Mais la fête de la Trinité reprend les hymnes angéliques : « Tu es béni, toi qui sièges sur les Chérubins » (Daniel 3, 52-56).
A la fête du Corps et du Sang du Christ « Fête Dieu », on célèbre le Pain des anges dont Dieu nous rassasie.
Enfin, la somptueuse fête de la Toussaint dans une magnifique antienne de Magnificat énumère tous les ordres angéliques aux côtés des Patriarches, des Prophètes, des Docteurs, des Apôtres, des Martyrs, des Moines, des Vierges. C’est le triomphe de l’Eglise glorieuse où anges et saints se côtoient, devenus ensemble intercesseurs pour ceux qui luttent encore. Quant aux antiennes des Laudes et des Vêpres elles retracent en une fête éloquente l’adoration de la foule innombrable debout devant l’Agneau avec les Anges tout autour. Or, de cette cour céleste, Marie est la Reine « Ave Regina coelorum, Ave Domina Angelorum » (Salut, Reine du Ciel, salut, Souveraine des Anges), chantons-nous après complies, elle qui fut exaltée par-dessus les cieux au moment de l’Assomption en présence des Anges tout joyeux, dit la liturgie.
Prenons donc, l’habitude de prier, d’adorer, de louer et même de chanter avec les anges pour, de petits rossignols, devenir de grands chantres du Divin Amour.
Père Dominique Spina