Nicodème, l’homme qui revenait toujours au point où il avait commencé


L’Évangile du quatrième dimanche de Carême met en scène le personnage énigmatique de Nicodème, partagé entre le sur-place et sa fascination pour le rabbi de Nazareth.

 

De la nuit à la nuit

Est-ce malgré lui, ou bien cela découle-t-il d’un trait de caractère assumé ? Toujours est-il que par deux fois, dans le quatrième évangile, le personnage de Nicodème va faire coïncider la fin avec le commencement. Tout d’abord, cette particularité se manifesta à l’occasion de ces deux rencontres avec la personne du Christ. L’évangile rapporte que c’est de nuit qu’il vint trouver Jésus la première fois. Les exégètes ne sont pas d’accord sur les raisons de cette visite nocturne. Cette précision a fait couler beaucoup d’encre et il est difficile de trancher la question.
Sa deuxième rencontre avec le Christ se déroula lors de l’ensevelissement de ce dernier, auquel Nicodème rendit des honneurs royaux : cent livres de myrrhe et d’aloès, ce qui était considérable (Jn 19,39). Or, ce fut aussi à la tombée du jour que cette mise en contact funéraire eut lieu (si on peut parler de rencontre pour une telle circonstance) ! De la nuit à la nuit. Jésus, ironiquement, terminera son grand discours au notable pharisien par cette remarque : « Celui qui agit dans la vérité vient à la lumière » (Jn 3,31). Était-ce une pique à l’endroit de son interlocuteur ? Un moyen de le faire sortir de ce cercle nocturne ?

La seconde occurrence où Nicodème eut la tentation de revenir à la case-départ, ce fut lorsqu’il répondit à la remarque du Christ sur la nécessité de renaître d’en haut. Candidement, le pharisien demanda alors si un vieil homme peut retourner dans le sein de sa mère ! Là encore, Nicodème semble s’enfermer dans un cercle régressif. Est-ce pour cela que le Christ lui retournera le titre de « maître » que le pharisien avait initialement décerné à Jésus : « Rabbi, tu es un Maître qui vient de la part de Dieu ». En écho à cette appellation louangeuse, Jésus lui rétorquera plus loin : « Tu es Maître en Israël et tu ignores ces choses ?  ». L’évangéliste use ici du procédé de l’inclusion qui consiste à finir par où on a commencé – ici par le titre de « Maître ». Comme si le personnage de Nicodème était irrémédiablement marqué par le signe de la coïncidence du début et de la fin.

 

Une prise de position courageuse

Mais toutes les généralités ont leur exception en l’homme. C’est heureux. Cela signifie que nous ne sommes pas soumis au déterminisme mais que nous sommes libres. Nicodème n’échappe pas à la règle. Lors de sa venue nocturne, il avait souligné les signes accomplis par Jésus comme preuve de l’autorité du rabbi galiléen. En revanche, à l’occasion de la controverse avec ses pairs pharisiens au sujet de Jésus, ce ne sont plus les signes qu’il avance pour le défendre en son absence mais sa doctrine : « Notre Loi condamne-t-elle un homme sans qu’on l’entende et qu’on sache ce qu’il fait ? » (Jn 7, 51). Cette fois-ci, contrairement à ses habitudes, Nicodème a franchi un pas supplémentaire par rapport à sa première entrevue avec Jésus. Sa défense courageuse l’a fait progresser dans une meilleure compréhension du Christ. Il n’entend plus en rester aux seuls signes extérieurs pour juger. Le courage a été pour lui le catalyseur d’une meilleure approche du mystère de Jésus : passer des faits à l’esprit.

Ainsi, la bienveillance et l’éthique constituent-elles souvent le parvis de la connaissance. C’est là un des messages essentiels du christianisme : le Savoir est le fruit de l’Amour. On accède au mystère des êtres (et de Dieu) à mesure qu’on les aime et qu’on les respecte. 

Jean-Michel Castaing

 

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Actualité publiée le 11 mars 2021