Semaine sainte : qui suis-je ?

Suis-je Marie de Béthanie, qui honore le corps de son Seigneur d’un parfum de grand prix, en ne regardant pas à la dépense - ce qui lui attire la remarque désobligeante du trésorier ?

Suis-je Caïphe, qui énonce, le doigt levé, les mornes sentences de la raison d’État et des sagesses pourries par l’avarice du cœur qui justifient l’écrasement de l’innocent («  Il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple et que la nation ne périsse pas tout entière ») ?

Suis-je Jean, penché sur le sein de Jésus au Cénacle, habitué de ses confidences au point que le porte-parole du groupe (Pierre) lui demande de questionner le maître au sujet de celui qui le trahira, comme il vient de l’annoncer à table, à la stupéfaction générale ?

Suis-je Judas, qui le trahit ? Judas, peut-être déçu de ce messianisme qui faisait la part trop belle aux femmes ou aux efféminés comme ce Jean, cet imberbe inapte au coup de force. Judas, déçu par ce messianisme trop spirituel et pas assez politique.

Suis-je Pierre, Jacques ou Jean à Gethsémani, incapables de veiller une heure avec le Maître en agonie ?

Suis-je Pierre, qui compte sur ses propres forces pour suivre Jésus, avant de s’effondrer en le reniant trois fois ?

Suis-je Marie-Madeleine, fidèle jusqu’au bout, jusqu’au pied de la Croix, malgré la suspicion qu’elle inspire à certains ?

Suis-je Pilate, qui s’en lavera les mains jusqu’à la fin des temps ? Ce politicien sceptique et relativiste (« Qu’est-ce que la vérité ?  »), mais qui tient tout de même à être bien vu de ses supérieurs à Rome, quitte à cautionner, malgré son intime conviction, un déni de justice : « Pas de vagues ! ».

Suis-je Simon de Cyrène, qui aide Jésus - de gré ou de force - à porter la Croix ?

Suis-je une fille de Jérusalem, qui se lamente sur le condamné du Golgotha, et qui a peut-être chéri les causes de ce dont elle déplore maintenant les conséquences ?

Suis-je un passant, qui hoche la tête devant le supplicié, en pensant tout bas : « Il n’y a pas de fumée sans feu ! Il a bien dû commettre quelque chose ! » ? Ou bien qui est devenu indifférent, à force d’assister à des crucifixions, le cœur rongé par le défaitisme et la résignation.

Suis-je le mauvais bandit, qui invective ce messie incompétent, incapable de le sortir de sa mauvaise passe ?

Suis-je le bon bandit, qui arrive in extremis à se jeter dans les bras de la Miséricorde, après avoir eu un éclair de lucidité sur lui-même ?

Suis-je le théologien « éclairé » qui subodorait la supercherie depuis longtemps : « Il en a sauvé d’autres et ne peux se sauver lui-même !  » ? Un théologien que cet agitateur nazaréen commençait à déranger dans ses affaires et ses certitudes : « On vous disait bien qu’il expulsait Béelzeboul par Béelzeboul ! ».

Suis-je Jean qui, au pied de la Croix, contemple la gloire de Dieu en recueillant les ultimes paroles de Celui qu’il aime, à côte de sa mère et de Madeleine ?

Suis-je la mère de Jésus, qui dit un ultime « oui » – ce « oui » crucifiant qui la configure définitivement au Prêtre de la nouvelle Alliance, qui est en train de mourir sur le Golgotha ?

Suis-je le centurion romain, qui s’écrie : « Vraiment, cet homme était fils de Dieu ! » ?

Suis-je une sainte femme qui fleurit l’église, et que les chrétiens « importants » ne prennent pas vraiment au sérieux, même si elle fait partie du petit groupe rassemblé au pied de la Croix, quand les Douze sont dans la nature ?

Suis-je Nicodème et Joseph d’Arimathie qui, bravant le respect humain malgré leurs hautes situations, tiennent à rendre les derniers honneurs à ce condamné dans lequel ils ont reconnu le Messie d’Israël ?

Suis-je un homme « éclairé » du XXIème siècle, qui considère « l’affaire Jésus » comme de l’histoire ancienne ? Ou bien suis-je un croyant qui tient la Croix pour l’unique espérance du monde, et qui est flatté de l’amitié que lui porte Celui qui mourut dessus ?

Jean-Michel Castaing,
auteur

 


Actualité publiée le 12 avril 2022