Témoignage d'une victime d'abus sexuels, adressé à Mgr de Kerimel

Lors du temps de prière pour et avec les victimes d’abus sexuels qui a été vécu le 11 mars 2023 en l’église Sainte-Anne à Toulouse, une victime a témoigné à l’assemblée, tout en s’adressant à Monseigneur de Kerimel. Elle y a raconté les abus qu’elle a subis ainsi que la miséricorde du Seigneur qui l’a guidée jusqu’à accompagner une autre victime.

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Monseigneur de Kerimel,

Depuis longtemps, je désirais pardonner aux pédophiles mais je n’y arrivais pas "en vérité". Quand à la télé ou autour de moi, ressortaient ces actes criminels, la colère me submergeait à nouveau. Comme disent si bien les jeunes, «  j’avais la haine »…

J’ai été une enfant, une adolescente très maltraitée, violée à dix ans et agressée sexuellement par huit autres personnes (dont trois femmes) au fil des années. Parmi tous ces malades, deux étaient prêtres et l’une était religieuse. Comment imaginer cela ? Eh bien oui, malheureusement, cela existe aussi (mon propre père, incestueux, me détruisit).

Plus le temps passait, plus je m’apercevais que je n’arrivais pas à un véritable pardon. La maladie nerveuse que je supporte depuis mon adolescence et qui m’handicape nuit et jour, avec son lourd traitement, n’arrive toujours pas à m’éviter les insomnies et plus…

Aujourd’hui, j’ai 68 ans. Je possède même une carte de personne handicapée tellement ma vie n’en fut pas une. Mon psy se demande toujours comment faire pour inventer, à mon âge, toujours un nouveau traitement pour me permettre de survivre, ou moins pire.

Il y a plus d’un an, une famille amie (dont je suis la marraine d’un de leurs enfants) vécut un drame épouvantable. Mon ami est père de huit enfants, jeune, bel homme, famille catholique, pour certains très pratiquants. Le papa (que j’appellerai Bruno) avait une haute fonction dans la société qui permettait à la famille d’avoir une vie aisée… Mais tout s’écroula lorsque Bruno fut incarcéré pour pédophilie sur plusieurs enfants. Sans revenus, sa famille se trouva ruinée.

J’essayais, comme je le pouvais, d’être là pour eux, mais vu la gravité des choses, seule la haine à présent avait rempli leur cœur, pendant que Bruno, dans sa cellule, se jetait dans la miséricorde de Jésus comme on se jette à l’eau. Je décidais de ne pas l’abandonner (car tous lui avaient fermé leur "porte"). Il se retrouva seul avec Dieu et ses compagnons de galère.

Alors, sur des dizaines de pages, au fil des mois, il me partagea l’horreur de son enfance et plus… et aussi ses agressions sexuelles. Peu de chiens perdus ont vécu ce que lui a vécu. Il est bien connu que bien des agresseurs ont, pour beaucoup, été agressés… et pour lui, en plus, « la maltraitance ».

Et moi, de mon côté, je priais encore et encore, et lui envoyais des lettres, des livres sur la Miséricorde… Le diable se mettait en travers car souvent Bruno ne recevait mon courrier que des mois après… Les livres que je lui envoyais, je les volais dans une église, des livres "de prêt" car je n’avais pas les moyens pour les acheter (le prêtre, gentiment, le comprit). Je bombardais Bruno de prières, de chapelets, de médailles miraculeuses, de scapulaire etc …

Alors, tout doucement, l’Esprit Saint, s’empara de lui, et quel changement ! Avec toutes ces munitions, il se mit à prier, plusieurs heures par jour, et se transforma doucement en un agneau. Lui, si nerveux, si tourmenté, le psy et l’aumônier de la prison ne le reconnaissaient plus. L’aumônier l’amena plusieurs fois témoigner de son passé et de son présent, dans divers endroits (de la prison, sans doute ?).

Bruno prêtait, ici ou là, les livres que je volais pour lui ainsi que le livre que j’avais écrit sur l’horreur de ma vie passée, qui avait débouché sur la Résurrection, à ma conversion vers l’âge de 28 ans, dans le renouveau Charismatique (car je n’étais pas croyante avant : je ne voyais qu’un Dieu justicier qui nous attendait au tournant. Un Dieu dont tous les malheureux n’ont pas besoin).

Au début de nos courriers, il était arrivé que ma lettre arrive juste au moment où mon ami avait décidé d’en finir. Dieu l’avait repêché, de justesse, par ces humbles écrits…

À la prison, certains commencèrent à prier le rosaire avec Bruno. À son tour, il empêcha un détenu de se supprimer. Les parents de cet homme lui envoyèrent une belle lettre de remerciement et des chocolats car c’était presque Noël. Moi, je disais à Jésus : « Tu vois qu’avec tous les barrages de la prison, je ne peux même pas envoyer de chocolats à Bruno pour Noël. Alors, merci de t’en occuper !  » Ce qu’il fit à travers ces personnes. « Merci Seigneur !  »

Lorsque l’on n’a pas droit au parloir (car je ne suis pas de la famille), tout est très compliqué pour communiquer avec un détenu. Sans compter que mes lettres et celles de Bruno, avant d’être données, sont épluchées "à la loupe" par le Juge. Vues la beauté et la profondeur des lettres que mon ami m’envoyait par dizaines, je ne pus m’empêcher de l’appeler « petit frère en Christ ».

Un jour, il me demanda : « Comment fais-tu toi, une grande agressée, pour côtoyer un grand agresseur comme moi ? » Je lui répondis : « Tu sais, sans la prière et les sacrements, et notre amitié, je n’aurais pas pu !  »

Par mon humble témoignage, je ne veux surtout pas minimiser tous ces crimes que j’ai vécus moi-même, au-delà de la folie. C’est en regardant la Croix que, pour moi, Jésus nous entraîne, dans le summum de l’amour, plus fort que l’amour : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font.  » Alors si nous, qui nous disons chrétiens, nous ne l’imitons pas dans le pardon, en nous et autour de nous, la paix ne pourra venir dans le monde. La paix ne pourra venir que si nous y travaillons.

Grâce à sa foi, Bruno pardonna à sa mère, son premier bourreau. Il me parla dans une de ces lettres de comment sa mère lui avait fait porter un trop lourd fardeau à l’âge de huit ans. Je pense qu’il a commencé à sombrer à partir de là. Il me raconta : « Ma grand-mère était une prostituée : elle vit une de ses camarades se faire décapiter, elle-même fut assassinée et le grand-père, proxénète, finit ses jours en prison. » La mère de Bruno sombra et fut internée durant dix années en hôpital psychiatrique. À sa sortie, son parrain la viola et il naquit alors un enfant caché.

« Tu vois ma grande sœur en Christ, d’où je viens. Depuis que je prie beaucoup, je ressens de plus en plus de compassion pour ma pauvre mère, surtout au vu de son passé. C’est pourquoi elle ne pouvait me donner que de la violence.  »

Pardon Monseigneur de Kerimel, je vous avais tous mis dans le même sac, « vous, les gens d’Église ». Aujourd’hui Dieu m’aide doucement, vers le pardon, et maintenant "en vérité".

Bien fraternellement,
En union de prière, en Jésus et Marie.

G.L